Dans notre exploration des couleurs, il est impossible d’ignorer le pouvoir envoûtant du rouge. Mais d’où provient cette couleur vibrante ?
L’hématite, un pigment ancestral à la base de tout
Remontons à l’un des pigments rouges les plus anciens : l’hématite. C’est une forme minérale de l’oxyde de fer qui se teinte de rouge lorsqu’elle s’altère. L’hématite est le pigment le plus répandu à la surface du globe, donnant naissance aux terres et ocres rouges naturelles si caractéristiques. Vous connaissiez peut-être aussi son utilisation sous le nom de « sanguine » dans la composition des crayons d’art.
L’évolution vers des teintes plus éclatantes
Cependant, l’hématite est progressivement tombée en désuétude dans l’Antiquité alors que les humains cherchaient des versions plus brillantes du rouge. Aujourd’hui, l’hématite naturelle a été largement remplacée par l’oxyde de fer rouge artificiel, obtenu par calcination des ocres. Un changement qui a permis d’explorer de nouvelles nuances et d’atteindre des effets plus intenses.
La pourpre, le rouge de la royauté
Voyageons maintenant à travers l’histoire pour découvrir un autre pigment rouge prestigieux : la pourpre. Utilisée intensivement à Rome, cette teinture précieuse était extraite de deux coquillages : le murex et le purpura. La ville de Tyr, en Phénicie, était renommée pour ses colorants pourpres. Cette couleur majestueuse, également appelée « Color Officialis », était étroitement liée au pouvoir. Malheureusement, la fabrication de cette pourpre s’est éteinte après la chute de Byzance en 1463.
Le rouge au Moyen Âge : symbole de richesse et de puissance
Au Moyen Âge, le rouge conservait sa place de couleur la plus prestigieuse en Occident. Il était associé à la richesse et à la puissance. Les artistes utilisaient des laques rouges intenses dérivées de matières tinctoriales telles que la garance, le bois de brésil, la cochenille et le kermès pour l’enluminure et la peinture. Ces laques offraient des nuances de rouge, de rose et de cramoisi dans des tonalités à la fois profondes et vibrantes.
Cochenille et carmin : des rouges d’origine animale
L’un des pigments rouges les plus coûteux et exclusifs était le carmin, obtenu à partir de la cochenille, un insecte parasite. Le corps de la femelle possède des propriétés tinctoriales utilisées dès l’Antiquité, et diverses variétés de cochenilles furent élevées dans différentes parties du globe. On s’en procure encore aujourd’hui en provenance d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale ou des Canaries, où la cochenille colonise des figuiers de barbarie et autres cactus. Ce pigment organique est toujours utilisé aujourd’hui, dans l’alimentation et les cosmétiques, sous le label E120. Ce qui signifie qu’il se pourrait bien que vos bonbons ou votre saucisson aient été teintés avec des insectes !
Originaire des régions méditerranéennes et du Proche-Orient où elle infeste le chêne, la variété kermes vermilio ou kermès, ressemblant à une graine rougeâtre, fut souvent confondue avec une baie végétale par l’Europe médiévale. Il fallait une quantité énorme d’insectes séchés et broyés pour obtenir un peu de matière colorante, ce qui rendait ce pigment écarlate extrêmement précieux et réservait cette couleur aux princes et autres hauts dignitaires.
Le bois de brésil : une teinte rouge braise
Le bois de brésil, également connu sous le nom de pernambouc, offrait une substance colorante moins coûteuse et plus facile à utiliser que la cochenille. Toutefois, son instabilité à la lumière a joué en sa défaveur. Il s’agit en réalité de différentes variétés d’arbres et de lianes appartenant au genre caesalpinia. Ces plantes teignent dans des nuances allant de l’orange au violet, en passant par le rose et le rouge. Le mot « brésil » provient de la couleur rouge brasier des teintures obtenues à partir de ces arbres. Les colonisateurs qui importèrent ces teintures rouges en quantité du Nouveau Monde donnèrent ainsi par assimilation le nom de « Brésil » à une partie ce territoire.
La garance : la véritable plante rouge
La garance, une plante tinctoriale d’origine végétale, joua un rôle prédominant dans la production de laques transparentes offrant des glacis intenses de rouge, de rose et de cramoisi. Originaire de Perse, la Rubia Tinctorium est la seule plante capable de produire un véritable rouge grâce aux pigments puissants contenus dans ses racines. Avant la découverte des pigments d’alizarine de synthèse, l’art occidental se servait abondamment des laques de garance, des fresques de Pompéi aux tableaux de Renoir. Elle est toujours cultivée aujourd’hui pour ses précieuses qualités en teinture naturelle.
Le minium, un rouge vif et toxique
Fabriqué à partir du 5e siècle à partir de l’oxyde de plomb, le minium était un pigment rouge vif orangé qui a été largement utilisé dans la peinture occidentale et orientale jusqu’au début du 20e siècle. Cependant, sa toxicité a entraîné son abandon progressif au profit de nouvelles alternatives, telles que les couleurs au cadmium. En outre, le minium présentait des problèmes de tenue à la lumière et s’assombrissait avec le temps en raison de l’oxydation au contact de l’air. Ces défauts, encore amplifiés par l’humidité dans les techniques aqueuses et la fresque, ont relégué le minium au rang des pigments peu utilisés bien avant son abandon définitif. Néanmoins, il a continué à être utilisé jusqu’à récemment dans la composition de peintures à l’huile antirouille pour les métaux.
Le cinabre et le vermillon : un rouge flamboyant
Le cinabre, quant à lui, est un pigment rouge orangé d’origine naturelle (minerai) ou artificielle (sulfure de mercure). Les Romains en étaient de grands consommateurs malgré son coût élevé. L’analyse révèle fréquemment sa présence dans les peintures murales de Pompéi et de Rome. Sous sa forme artificielle, le cinabre est connu sous le nom de vermillon, et il aurait probablement été synthétisé dès l’Antiquité, comme le suggèrent de nombreux traités de peinture médiévaux. Cependant, la composition du vermillon, qui mêle soufre et mercure, en faisait un pigment extrêmement toxique. Aujourd’hui, il a été complètement abandonné au profit des rouges de cadmium, offrant des alternatives plus sûres et tout aussi éclatantes.
L’histoire des pigments rouges nous dévoile un univers riche en intensité et en découvertes, mais aussi marqué par les défis posés par la toxicité et la tenue à la lumière. Depuis les minéraux ancestraux jusqu’aux insectes précieux et aux plantes tinctoriales, les matériaux anciens ont laissé leur empreinte sur l’art et l’histoire. Certains ont cédé la place à des alternatives plus sûres et plus durables, cependant leur influence et leur héritage demeurent, témoignant de la passion et de la créativité des artistes à travers les siècles.
Les rouges modernes
Les fabricants de couleurs d’aujourd’hui ont souvent gardé des appellations historiques, on trouve ainsi du « rouge carmin » ou du « rouge cinabre » en vente dans leurs collections. Il s’agit alors d’imitations de la teinte historique avec des matières modernes. Ces imitations sont souvent assez proches de la couleur d’origine, et on peut se reporter aux fiches techniques des fabricants sérieux pour en connaître la composition exacte. Exemple chez Ocres de France : cinabre synthétique.
Offrant une palette entièrement naturelle, les pigments dérivés de l’oxyde de fer rouge sont permanents, non toxiques et peuvent être utilisés en extérieur; ils résistent aussi bien que les pigments d’oxyde de fer jaune. Les teintes de rouge d’aujourd’hui continuent donc à exploiter les nuances des terres rouges et les multiples variations d’oxyde de fer obtenues par calcination des différentes ocres.
Associées à un bleu outremer, ces terres produisent des tons violets et mauves légèrement impurs ainsi que des bruns intéressants, qui gagnent en éclat lorsqu’ils sont mélangés avec du blanc. Utilisées pures ou avec l’ajout de blanc, ces teintes donnent naissance à de joyeux roses saumon qui ont été utilisés depuis longtemps.
Cependant, ces pigments ont tendance à être relativement opaques lorsqu’ils sont utilisés en glacis et peuvent manquer de brillance sur une palette moderne.
Une alternative intéressante aux rouges historiques est le rouge de cadmium clair. Il est stable, offre une bonne couverture et est beaucoup moins toxique, bien qu’il puisse être légèrement polluant en grande quantité et un peu coûteux. D’autres rouges synthétiques, qui sont plus transparents, sont des rouges azo. Les imitations azoïques du rouge vermillon ont généralement réussi à préserver la luminosité exceptionnelle de ce pigment tout en offrant une permanence bien supérieure. Autres rouges très populaires depuis leur introduction dans les années 1960, les quinacridones associent la puissance des pigments colorants à la luminosité des pigments transparents. Ce sont des pigments organiques synthétiques, dont les minuscules particules ont une taille et une forme exceptionnellement uniformes.
Bibliographie
- Philip Ball, Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments, Hazan, 2010
- Victoria Finlay, Color, A Natural History of the Palette, Random House, 2002
- Jean Petit, Jacques Roire et henri Valot, Des liants et des couleurs pour servir aux artistes peintres et aux restaurateurs, EREC, 1995
- François Perego, Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, 2005
- Anne Varichon, Couleurs, Pigments et teintures dans les mains des peuples, Seuil, 2000
Bonjour, je ne trouve dans mes livres aucune info sur ce pigment. Et sur le net, il est fait mention d’une substance tirée de l' »huile de Dippel » mais qui ne semble pas être rouge. Voir http://chimieorganique-jeanlouis-migot.over-blog.com/2022/07/johann-contad-dippel.html J’avoue ne pas connaître cette substance !
A quoi correspond la fuscine, pigment rouge ?
Merci